Il a fallu trier, classer, jeter, refuser les pots-de-vin, affronter les menaces...
Les critiques de “Télérama” sont finalement parvenus à s'entendre sur quelques principes :
- le mot “rock” s'entendrait ici au sens strict (peu de pop, pas de soul, beaucoup de guitare),
- pas plus de trois albums d'un même groupe ou artiste.
Résultat : forcément des oublis, des disqualifications impardonnables. Sans doute des tombereaux de courrier à attendre de nos amis lecteurs...
Sélection des albums: Philippe Barbot, Hugo Cassavetti, François Gorin, Stéphane Jamo, Frédéric Péguillan, Laurent Rigoulet et Emmanuel Tellier.
Commentaires : Philippe Barbet, Frédéric Péguillan et Emmanuel Tellier.
Décompte des votes :Pauline Perrignon.
Ce classement est déjà paru dans le “Telérama” spécial “rock” du 31 mars 2004.
Double album exemplaire, le chef-d'œuvre de Clash synthétise les genres (rock, reggae, rockabilly, ska, pop) avec puissance et subtilité. Un résumé parfait de l'histolre du rock en dix-neuf titres magistraux qui, vingt-cinq ans après, n'ont toujours pas pris une ride. LE disque à emporter sur une île déserte.
Le rock a rarement été aussi ambigu : à la fois sale et poétique, électrique et mélodique, bestial et intello. Poussés par Andy Warhol, Lou Reed et John Cale sculptent un classique sans le savoir, accompagnés de deux fidèles serviteurs, Maureen Tucker à la batterie et Sterling Morrison à la guitare.
Brian Jones vient de passer l'arme à gauche. Mick Taylor débarque à peine. Un mort au concert d'Altamont. Période trouble mais magique. Les Stones, au sommet de leur art avec un Keith Richards en verve chantent leurs craintes et leur désespoir: Gimme shelter, sublime: Love in vain, troublant: Midnight Rambler, intense.
New York, 1977 : le punk à l'américaine est plus sophistiqué que son cousin britannique. Avec Television, il est aussi teinté d'une poésie urbaine éblouissante, et se pare des guitares les plus raffinées, les plus délicieusement électriques de toute cette période. Lorsqu'ils jouent ensemble, Richard Heli, Tom Verlaine et leurs copains deviennent le maitres du monde.
la cantate bouleversante d'un troubadour au désespoir intospectif, disparu prématurément. Seul à la guitare acoustiques ou lové sous des cordes baroques, le baladin recroquevillé n'a pas vieilli d'un sanglot et demeure la référence suprême du folk épique. Depuis Nick Drake, les grandes douleurs ne sont plus plus muettes.
Le chef-d'œuvre d'un génie reclus, Brian Wilson, abandonnant les roucoulades surf des garçons de plage pour d'ambitieux collages harmoniques, des chansons confondantes de pureté sophistiquée. En voulant faire mieux que les Beatles, ll perdit à la fois la tête et son groupe. Un hymne à la désillusion, miraculeux chant du cygne.
Le Lou rôdeur de Manhattan au pied du mur. Dans l'underground berlinois de 1973 cher à David Bowie, l'ex-Velvet concocte cette œuvre etrange, hantée, angoissée. Plus baroque que rock, pleurs d'enfants et plaintes de violoncelles, cabaret transformiste et symphonie aphone, le disque le plus dépressif de tous les temps...
On a tout dit et écrit sur ce disque au vitriol. Sauf peut-être qu'il est aussi, au-delà de la hargne et du manifeste, somptueusement porté par des musiciens aussi futés qu'exaltés. Et dire que ces quatre là n'ont pourtant réellement joué ensemble que pendant deux années... Mais quelle hargne, quelle énergie, quelle flamboyance !
Disque à part dans l'histoire du rock, Astral Weeks, enregistré à New York par un Irlandais de 23 ans, est une œuvre aérienne et ensorcelante. L'esprit rock est surtout ici affaire de climat (des textes durs et magnifiques), car musicalement, c'est plutôt dans un mélange de folk, de jazz, de blues et de classique que Van Mo' nous entraîne.
Egérie de la scène new-yorkaíse pré-punk, Patti Smith embrase, avec ce premier album et son célèbre Gloria, une Amérique encore anesthésiêe par l'interminable ère hippie. Avant-gardiste, la romantique enragée fera le lien entre Bob Dylan et U2, le Velvet Underground et PJ Harvey.
Marc Bolan, le lutin roi de T-Rex, pionnier du glam à la sexualité ambigüe et aux hymnes hédonistes part en éclaireur pour Bowie, Prince ou Suede. Get it on, tube boogie fun futile et indispensable, résonne encore comme le symbole de ce qu'aurait toujours dû être la pop: une partie de plaisir.
Des nombreux personnages qu'il aura incarnés, Ziggy Stardust, alien glam inspiré par Vince Taylor, rocker devenu fou, demeure le plus marquant. Et Bowie, artiste caméléon, d'écrire ici l'une des plus belles pages de sa carrière, à l'image du sublimissime Rock'n'roll Suicide.
Enfin débarrassée de la corvée des concerts, les Fab Four studieux concoctent en studio leur premier véritable album et déclinent, sous la houlette du maestro George Martin, la pépite sonore révolutionnaire qui va colorer leurs œuvres futures : soul et pop music,ballades et psychédélisme. Canon...
Il a eu 18 ans il y a belle lurette, mais il n'est toujours pas majeur. Mineur donc, mais essentiel, le premier album d'un amoureux moderne au romantisme desuet et attendrissant : Jonathan Richman, troubadour gribouilie, éternel gamin fan de comptines twist et de crèmes glacées. Candide et indispensable.
Premier double album de l'histolre, entre blues, country, folk et rock, servi par de fidèles accompagnateurs, The Hawks (futur The Band). Où l'abonné aux bistrots de Greenwich Village fan grattouiileux de Woody Guthrie, se pose en prophète électrique à la poésie surréaliste et lyrique. Dylan Is Dylan...
Tout est chevaleresque dans la pop acide et Irradiante de Love, de l'écriture des chansons (d'une rare subtilité) au son de la production (flamboyante), jusqu'à l'attitude du groupe. Vrais cow-boys déjantés. Pas pour rien que Jim Morrison et ses Doors ont souvent cité le groupe du très barré Arthur Lee comme une influence majeure.
L'un des plus riches joyaux mélodiques du rock : du concentré d'hamnonies, des contre-chants en rangs serrés. des refrains féériques... On ne s'ennuie pas une seule Seconde pendant ce voyage enchanté dans une réunion d'écolos britanniques en avance sur leur temps. Un concept-album magistral.
Génie touche-à-tout, Prince a marqué de son empreinte la fin des eighties en fusionnant rock, funk et provoc ; James Brown, Jimi Hendrix et les Beatles. De son œuvre plèthorique, il reste avant tout ce double album majeur, témoignage indélébile de son éclectisme éclairé et de son règne sur la planète Pop.
Où le guitariste le plus phénoménal jamais entendu s'aventure sur des territoires inexplorés, laissant jalllir de sa Stratocaster des sons inouïs ; revisite le blues accompagné par l'orgue de Steve Winwood ; et métamorphose le All along the Watchtower de Dylan. Un monument de l'histoire du rock.
Elle est l'héritière incontestée de Patti Smith : même éloquence, même androgynie, même anticonformisme. Sur le plus soyeux de ses disques, l'Anglaise à la guitare tendue et à la voix langoureuse se permet même de dépasser son modèle. Et même l'Américaine, toujours à l'affût des nouveaux talents, a couvert de louanges ce disque admirable.
Entre fanfare claironnante et patchwork sophistigué, le symbole de l'effervescence du mouvement "Powerflower" de la fin des sixties. Les Fab Four décollent. Après ce chef-d'œuvre poivré et libérateur, précurseur de la sophistication dans les techniques d'enregistrement, la pop music ne fut plus jamais la même.
Los Angeles, ville de soleil et de paillettes ? La belle voix noire de Hope Sandoval et la guitare velvetienne de David Roback disent exactement le contraire. Rarement la langueur des lendemains d'étreinte a été aussi bien chantée. Sandoval est une Marilyn du rock. Mais la Marilyn de la fin, abandonnée de tous.
Sous pochette immaculée, la fèlure d'un groupe devenu une juxtaposition de talents qui explorent tous les genres musicaux, du blues anglais au (quasi-)hard rock. La poésie caustico-surréaliste de John, le talent mélodique de Paul, le mysticisme de George et les racines carrées de Ringo pour une véritable œuvre au blanc.
Derrière la braguette du jean (une pochette de légende signée Andy Warhol), les Stones déballent un paquet de riffs de guitare inoubliables (Brown Sugar, Bitch...), de renversantes ballades (Wild Horses, Sister Morphine) et impriment le son épais qu'on leur connaît encore aujourd'hui.
Beaux-arts bizarres. Sous l'impulsion d'une hydre à deux têtes chercheuses, les brillants Ferry et Eno, un gang de dandies kitsch remet le glam, le strass et les paillettes au goût du rock. Et fait rimer décadence et élégance, sex-appeal et sax agile, planète Mars et palaces, top models, cuir et dentelles. Pour notre plaisir.
Du sang et du son sur les piston... En rupture de couple et de groupe, Dylan enregistre un disque introspectif et amer, aux magnifiques parties acoustiques. Entre mélancolie poignante, allégories et confessions lntimes, l'un des chefs-d'œuvre du Maitre.
Descendant des Byrds par les guitares, leur folk-rock intello à la prose aussi brumeuse qu'un roman de Feulkner atteint ici ue dimension suprême. Un disque grave mais magnifique où la voix de Michael Stipe - en grande forme - brllle telle une étoile dans le crépuscule.
"Il y a pas mal de rires étouffés dans mes disques..." Lugubre mais sexy, l'étemel juif errant canadien quitte un temps la littérature pour se lancer dans la chanson à tendance mystique et devenir le chantre de la gravité distinguée. La prénommée Suzanne ne s'en est jamais remise. Nick Cave et Jean-Louis Murat non plus.
Génial précurseur, James Jewel Osterberg (alias Iggy Pop) a la géniale idée, dès 1967, de jouer très fort, très sec. Son deuxième album avec les Stooges est un exemple pour la jeunesse, et sert toujours de référence ultime pour les héritiers punk-rock comme Green Day. Tout comme d'ailleurs le formidable Raw Power de 1973, autre sommet Stooges.
Le premier chef d'œuvre de Mr Songwriter (pour qui n'a-t-il pas écrit ?). Une pop lucide et colérique, interprétée à merveille par The Attractions (le backing band le plus efficace de l'époque), qui annonce bien cette période charnière que fut la new wave post-punk.
Le premier album du dieu de la six cordes, celui qui fait découvrir au monde son époustouflante inventivité sur des titres comme Hey Joe, Purple Haze, Foxy Lady ou l'explosif Fire. Une révolution. Depuis, Hendrix est devenu la référence suprème de la guitare. Mille fois imité, jamais égalé.
L'homme en noir chantait de sa voix de basse la souffrance, le malheur et la solitude du travailleur exploité, de l'amant égaré, du rebelle à l'autorité. Le chantre de la marginalité se devait d'entrouvrir les portes du pénitencier le temps d'un concert historique. La plus belle remise de peine.
Une véritable légende. Découvreur d'Emmylou Harris, inspirateur des Rollong Stones, évadé des Byrds et des Flying Burrito Brothers, le méconnu père spitituel du folk-rock cramé enregistre son dernier album solo avant de disparaitre à jamais dans le désert : country épique et ultime chevauchée.
Entre The River et Born in the USA, le Boss enregistre seul, à la maison, ce recueil de chansons acoustiques narrant avec sensibilité l'existence des oubliés du rêve américain. Un disque bouleversant de sobriété, à classer entre les meilleurs Dylan et les œuvres complètes de John Steinbeck.
Vous connaissez les Beatles, les Kinks ! Mais ignoriez peut-être que les Zombies (grands oubliés de l'histoire officielle) les avaient tutoyés, le temps d'un disque (au moins). Même extraordinaire don d'écriture, même aisance classieuse du côté des voix et des arrangements. De l'orfèvrerie totale.
Folk songs acoustiques avec harmonica et rock gras emmené par des guitares en furie : l'ex-idole des hippies, futur parrain du grunge, révèle les deux facettes de sa riche personnalité sur cet album d'inspiration punk-rock, à l'image des deux versions d'un Hey hey my my d'anthologie, clin d'œil à Johnny Rotten, des Sex Pistols.
L'un des disques les plus connus et les plus vendus au monde. De la pochette (le fameux triangle sur fond noir) au tube Money (illustration du moindre reportage télé sur l'argent) en passant par sa qualité hi-fi (révolutionnaire à sa sortie), il incarne l'ère du rock planant et la modernité made in seventies.
Roitelet-Soleil. Entre juillet 1954 et juillet 1955, sous l'enseigne lumineuse de Sun Records, à Memphis, le blanc-bec qui "chante comme un noir" enregistre ses meilleurs titres, de That's all night Mama à Mystery Train. Et invente le Rockabilly en rhabillant country et hillbilly. Le faire-part de naissance du Rock.
Les portes s'ouvrent. En mélangeant blues déchiré, opérette de quat' sous, ragga binaire et conservatoire classique, Jim Morrison et son gang créent un rock dionysiaque. entre happening poétique et tragédle psychédélique. Avec un Roi Lezard encore svelte et imberbe, chaman sexuel et derviche tourneur.
L'acte fondateur de la cold wave, ce courant glacial issu du punk, et premier volet d'une trilogie renversante (que compléteront Faith et Pornography). Simple et répétitif, claustrophobe et hypnotique, le deuxième album de Cure est une invitation à plonger dans les ténèbres existentielles de Robert Smith, créateur enfantin à l'ntégrité rare. Unique.
Personnage à part, dans le rock et la pop, mais aussi dans la musique en général. Chez Scott Walker, tout chante à pleins poumons, l'homme en pleine lumière comme les violons dans le décor. Depuis ces envolées romantico-symphoniques, personne n'a plus jamais osé chanter comme ça, aussi grand, aussi vaste.
Bubble-gum expérimental, disco excentrique, opéra glam, la musique des frères Maei reste un ovni dans l'histoire du rock américain. Une étincelle qui n'a jamals mis le feu aux poudres mais allumé du bien jolis braseros pop futés et charnus, qui ont largement inspiré les Pet Shop Boys et Bronski Beat.
L'album le plus marquant de l'ère punk avec Never mind the bollocks, des Sex Pistols. Un brûlot à l'énergie dévastatrice qui annonce, par ses textes révoltés et son appropriation du reggae (Police and Thieves, de Junior Murvin), les orientations futures de Clash : engagement romantico-politique et métissages musicaux avant-gardistes.
Tout juste échappé des griffes d'Andy Warhol, le Lou solitaire et fiévreux conte le monde interlope de New York, ses dealers, ses junkies, ses groupies... et obtient bien plus qu'un quart d'heure de gloire : un véritable tube, sans doute le plus ambigu de l'histoire du rock, Walk on the wild side.
"Psychokiller, qu'est-c'que c'est ?" L'irruption de quatre étudiants électriques new-yorkais, menés par la tête pensante David Byrne, qui mélangent avec fougue punk arty, funk psychopathe et rythmes africains. Un rock acéré et angoissé, digne d'un recueil d'introduction à la psychanalyse. Fortes têtes.
En le découvrant aujourdhui, on pourrait se poser la question : Nevermind était-il un best of ? Non, juste un album époustouflant de bout en bout. Kurt Cobain, qul ne se voyait pas comme un grand songwrlter, a pourtant écrit Lithium, Smells like teen spirit ou Come as you are en quelques semaines.
"J'espère mourir avant d'être vieux..." Même s'ils n'ont pas tous respecté l'adage à la lettre, les Who ont signé l'un des plus percutants hymnes d'une... génération. Etemels Mods hors des modes, Daltrey, Townshend et consorts réalisent la fusion parfaite entre pop mélodique et rock furieux. Avant de se lancer dans l'opéra...
Morrisey et Johnny Marr au sommet de leur art : l'art de chanter comme personne une Angleterre fin de siècle. Véritables bijoux d'écriture, Bigmouth strikes again et Some girls are bigger than others prouvent aussi que les Smiths mariaient, mieux que personne, la puissance évicatrice des mots à la force brute des mélodies. Pop vraiment rock !
Le meilleur live des Stones (et de loin), enregistré à New York fin 1969 pour solder le contrat qui liait le groupe à Decca, témoigne de la puissance du groupe à l'époque. Dix titres (dont une version renversante de Sympathy for the devil) où les guitares de Keith Richards et de Mick Taylor rivalisent d'agressivité. Trop fort!
Enregistré à Berlin peu après la chute du Mur, le chef-d'œuvre des Irlandais marie tradition et modernité, à travers des arrangements sophistiqués et des mélodies d'exceptlon à l'Image de One, l'une des plus belles chansons jamais écrites. Un modèle d'appropriation réussie de la technologie au service de la création.